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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/43

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Le mercredi suivant, Spéransky reçut Bolkonskï chez lui en tête à tête, lui causa longuement, et, comme à la première rencontre chez Kotchoubeï, il fit sur lui grande impression.

Le prince André considérait comme des êtres méprisables et nuls une si grande quantité de personnes, il voulait tant rencontrer l’idéal vivant de cette perfection à laquelle il aspirait, qu’il crut facilement avoir trouvé en Spéransky l’idéal de l’homme sage et vertueux.

Si Spéransky eût été du même monde, de même éducation, de même niveau moral que le prince André, alors celui-ci eût bientôt trouvé ses côtés faibles, humains, non héroïques, mais cet esprit logique, étrange pour lui, lui inspirait d’autant plus de respect qu’il ne le comprenait pas entièrement. En outre, Spéransky, soit qu’il appréciât les capacités du prince André, soit qu’il trouvât nécessaire de se l’attacher, posait devant lui pour raisonner sans parti pris, avec calme. Il avait pour lui cette flatterie fine, servie par une grande assurance, qui consiste à reconnaître tacitement que votre interlocuteur est avec vous-même le seul homme capable de comprendre toute la bêtise de tous les autres et la sagesse et la profondeur de vos propres idées.

Pendant leur longue conversation, le mercredi soir, Spéransky répéta plusieurs fois : « Chez nous on envisage tout ce qui sort du niveau ordinaire,