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fait que dans notre terre de Kalouga les paysans et leurs femmes boivent tout ce qu’ils possèdent et refusent de payer leurs redevances ? Vous qui faites toujours l’éloge des paysans, expliquez-moi ce que cela signifie ? »

En ce moment une dame entra au salon et Levine se leva.

« Excusez-moi, comtesse, mais je ne sais rien et ne puis vous répondre », dit-il en regardant un officier qui entrait à la suite de la dame.

« Ce doit être Wronsky », pensa-t-il, et, pour s’en assurer, il jeta un coup d’œil sur Kitty. Celle-ci avait déjà eu le temps d’apercevoir Wronsky et d’observer Levine. À la vue des yeux lumineux de la jeune fille, Levine comprit qu’elle aimait, et le comprit aussi clairement que si elle le lui eût avoué elle-même.

Quel était cet homme qu’elle aimait ? Il voulut s’en rendre compte, et sentit qu’il devait rester bon gré, mal gré.

Bien des gens, en présence d’un rival heureux, sont disposés à nier ses qualités pour ne voir que ses travers ; d’autres, au contraire, ne songent qu’à découvrir les mérites qui lui ont valu le succès, et, le cœur ulcéré, ne lui trouvent que des qualités. Levine était de ce nombre, et il ne lui fut pas difficile de découvrir ce que Wronsky avait d’attrayant et d’aimable, cela sautait aux yeux. Brun, de taille moyenne et bien proportionnée, un beau visage calme et bienveillant, tout dans sa personne, de-