Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/158

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cès de désespoir et de terreur. Elle avait refusé cinq danseurs, n’était pas invitée, et n’avait plus aucune chance de l’être, parce que ses succès dans le monde rendaient invraisemblable qu’elle n’eût pas de cavalier. Il lui aurait fallu dire à sa mère qu’elle était souffrante et quitter le bal, mais elle n’en eut pas la force. Elle se sentait anéantie !

Elle s’enfuit dans un boudoir et tomba sur un fauteuil. Les flots vaporeux de sa robe enveloppaient comme d’un nuage sa taille frêle ; son bras de jeune fille, maigre et délicat, retombait sans force, et comme noyé dans les plis de sa jupe rose ; l’autre bras agitait nerveusement un éventail devant son visage brûlant. Mais, quoiqu’elle eût l’air d’un joli papillon retenu dans les herbes et prêt à déployer ses ailes frémissantes, un affreux désespoir lui brisait le cœur.

« Je me trompe peut-être, tout cela n’existe pas ! » Et elle se rappelait ce qu’elle avait vu.

« Kitty, que se passe-t-il ? » dit la comtesse Nordstone, qui s’était approchée d’elle sans qu’elle entendît ses pas sur le tapis.

Les lèvres de Kitty tressaillirent, elle se leva vivement.

« Kitty, tu ne danses pas le cotillon ?

— Non, non, répondit-elle d’une voix tremblante.

— Il l’a invitée devant moi, dit la Nordstone, sachant bien que Kitty comprenait de qui il s’agissait. Elle lui a répondu : « Vous ne dansez donc pas avec la princesse Cherbatzky ? »