Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/164

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sortait de la chambre une épaisse fumée de tabac de qualité inférieure ; Levine entendit le son d’une voix inconnue, puis il reconnut la présence de son frère en l’entendant tousser.

Quand il entra dans une espèce d’antichambre, la voix inconnue disait :

« Tout dépend de la façon raisonnable et rationnelle dont l’affaire sera menée. »

Levine jeta un coup d’œil dans l’entre-bâillement de la porte, et vit que celui qui parlait était un jeune homme, vêtu comme un homme du peuple, un énorme bonnet sur la tête ; sur le divan était assise une jeune femme grêlée, en robe de laine, sans col et sans manchettes. Le cœur de Constantin se serra à l’idée du milieu dans lequel vivait son frère ! Personne ne l’entendit, et, tout en ôtant ses galoches, il écouta ce que disait l’individu mal vêtu. Il parlait d’une affaire qu’il cherchait à conclure.

« Que le diable les emporte, les classes privilégiées ! dit la voix de son frère après avoir toussé. Macha ! tâche de nous avoir à souper, et donne-nous du vin s’il en reste ; sinon, fais-en chercher. »

La femme se leva, et en sortant aperçut Constantin de l’autre côté de la cloison.

« Quelqu’un vous demande, Nicolas Dmitrievitch, dit-elle.

— Que vous faut-il ? cria la voix de Nicolas avec colère.

— C’est moi, répondit Constantin en paraissant à la porte.