Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

coup la princesse Miagkaïa en entendant ces mots. La Karénine est une femme charmante et que j’aime ; en revanche, je n’aime pas son mari.

— Pourquoi donc ne l’aimez-vous pas ? demanda l’ambassadrice. C’est un homme fort remarquable. Mon mari prétend qu’il y a en Europe peu d’hommes d’État de sa valeur.

— Mon mari prétend la même chose, mais je ne le crois pas, répondit la princesse ; si nos maris n’avaient pas eu cette idée, nous aurions toujours vu Alexis Alexandrovitch tel qu’il est, et, selon moi, c’est un sot ; je le dis tout bas, mais cela me met à l’aise. Autrefois, quand je me croyais tenue de lui trouver de l’esprit, je me considérais moi-même comme une bête, parce que je ne savais où découvrir cet esprit, mais aussitôt que j’ai dit, à voix basse s’entend, c’est un sot, tout s’est expliqué. — Quant à Anna, je ne vous l’abandonne pas : elle est aimable et bonne. Est-ce sa faute, la pauvre femme, si tout le monde est amoureux d’elle et si on la poursuit comme son ombre ?

— Je ne me permets pas de la juger, dit l’amie d’Anna pour se disculper.

— Parce que personne ne nous suit comme nos ombres, cela ne prouve pas que nous ayons le droit de juger. »

Après avoir arrangé ainsi l’amie d’Anna, la princesse et l’ambassadrice se rapprochèrent de la table à thé, et prirent part à une conversation générale sur le roi de Prusse.