Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/306

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que, et mon domestique vaut cent fois mieux que lui.

— Quelles idées arriérées ! Et la fusion des classes, qu’en fais-tu ?

— J’abandonne cette fusion aux personnes à qui elle est agréable ; quant à moi, elle me dégoûte.

— Décidément, tu es un rétrograde.

— À vrai dire, je ne me suis jamais demandé ce que j’étais : je suis tout bonnement Constantin Levine, rien de plus.

— Et Constantin Levine de bien mauvaise humeur, dit en souriant Oblonsky.

— C’est vrai, et sais-tu pourquoi ? À cause de cette vente ridicule ; excuse le mot. »

Stépane Arcadiévitch prit un air d’innocence calomniée et répondit par une grimace plaisante.

« Voyons, quand quelqu’un a-t-il vendu n’importe quoi sans qu’on lui dise aussitôt : « Vous auriez pu vendre plus cher ? » et personne ne songe à offrir ces beaux prix avant la vente. Non, je vois que tu as une dent contre cet infortuné Rébenine.

— C’est possible, et je te dirai pourquoi. Tu vas me traiter encore d’arriéré et me donner quelque vilain nom, mais je ne puis m’empêcher de m’affliger en voyant la noblesse, cette noblesse à laquelle, en dépit de la fusion des classes, je suis heureux d’appartenir, allant toujours s’appauvrissant. Si encore cet appauvrissement tenait à des prodigalités, à une vie trop large, je ne dirais rien : vivre en grands seigneurs, c’est affaire aux nobles, et eux