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CHAPITRE XIX


Le jour des courses de Krasnoé-Selo, Wronsky vint, plus tôt que d’habitude, manger un bifteck dans la salle commune des officiers ; il n’était pas trop rigoureusement tenu à restreindre sa nourriture, son poids répondant aux quatre pouds exigés ; mais il ne fallait pas engraisser, et il s’abstenait en conséquence de sucre et de farineux. Il s’assit devant la table, sa redingote déboutonnée laissant apercevoir un gilet blanc, et ouvrit un roman français ; les deux bras appuyés sur la table, il semblait absorbé par sa lecture, mais ne prenait cette attitude que pour se dérober aux conversations des allants et venants ; sa pensée était ailleurs.

Il songeait au rendez-vous que lui avait donné Anna après les courses ; depuis trois jours il ne l’avait pas vue, et se demandait si elle pourrait tenir sa promesse, car son mari venait de rentrer à Pétersbourg d’un voyage à l’étranger. Comment s’en assurer ? C’était à la villa de Betsy, sa cousine, qu’ils s’étaient rencontrés pour la dernière fois ; il n’allait chez les Karénine que le moins possible ; oserait-il s’y rendre ?

« Je dirai simplement que je suis chargé par Betsy de savoir si elle compte venir aux courses ;… oui certainement, j’irai », décida-t-il intérieurement ; et son imagination lui peignit si vivement le bon-