Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/348

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montait une jument pur sang qu’un Anglais menait par la bride. Wronsky connaissait comme tous ses camarades l’amour-propre féroce de Kouzlof, joint à la faiblesse de ses nerfs. Chacun savait qu’il avait peur de tout, — mais à cause de cette peur, et parce qu’il risquait de se rompre le cou, et qu’il y avait près de chaque obstacle un chirurgien avec des infirmiers et des brancards, il avait résolu de courir.

Wronsky lui sourit d’un air approbateur ; mais le rival redoutable entre tous, Mahotine sur Gladiator, n’était pas là.

« Ne vous pressez pas, disait Cord à Wronsky, et n’oubliez pas une chose importante : devant un obstacle, il ne faut ni retenir ni lancer son cheval, — il faut le laisser faire.

— Bien, bien, répondit Wronsky en prenant les brides.

— Menez la course si cela se peut, sinon ne perdez pas courage, quand bien même vous seriez le dernier. »

Sans laisser à sa monture le temps de faire le moindre mouvement, Wronsky s’élança vivement sur l’étrier, se mit légèrement en selle, égalisa les doubles rênes entre ses doigts, et Cord lâcha le cheval. Frou-frou allongea le cou en tirant sur la bride ; elle semblait se demander de quel pied il fallait partir, et balançait son cavalier sur son dos flexible en avançant d’un pas élastique. Cord suivait à grandes enjambées. La jument, agitée, cherchait à tromper son