Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/440

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coucha après s’être arrangé un oreiller d’herbe. Levine en fit autant, et, malgré les mouches et les insectes qui chatouillaient son visage couvert de sueur, il s’endormit aussitôt, et ne se réveilla que lorsque le soleil, tournant le buisson, vint briller au-dessus de sa tête. Le vieux ne dormait plus ; il aiguisait les faux.

Levine regarda autour de lui sans pouvoir s’y reconnaître ; tout lui semblait changé. La prairie fauchée s’étendait immense avec ses rangées d’herbes odorantes, éclairée d’une façon nouvelle par les rayons obliques du soleil ; la rivière, cachée naguère par les herbages, coulait limpide et brillante comme de l’acier, entre ses bords découverts ; au-dessus de la prairie planaient des oiseaux de proie.

Levine calcula ce que ses ouvriers avaient fait et ce qui restait à faire ; le travail de ces quarante-deux hommes était considérable ; du temps du servage, trente-deux hommes travaillant pendant deux jours venaient à peine à bout de cette prairie, dont il ne restait plus que quelques coins intacts. Mais il aurait voulu faire plus encore ; le soleil descendait trop tôt, à son gré ; il ne sentait aucune fatigue.

« Qu’en penses-tu ? demanda-t-il au vieux : n’aurions-nous pas encore le temps de faucher la colline ?

— Si Dieu le permet ! le soleil est encore haut, il y aura peut-être un petit verre pour les enfants ? »

Lorsque les fumeurs eurent allumé leurs pipes,