Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/480

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faux : jamais il n’avait songé à s’apitoyer sur eux, et la vue du malheur d’autrui l’avait toujours grandi dans sa propre estime.

« En bien, ce qui a frappé tant d’autres me frappe à mon tour. L’essentiel est de savoir tenir tête à la situation. » Et il se rappela les diverses façons dont tous ces hommes s’étaient comportés.

« Darialof a pris le parti de se battre… » Dans sa jeunesse, et en raison même de son tempérament craintif, Alexis Alexandrovitch avait souvent été préoccupé de la pensée du duel. Rien ne lui semblait terrible comme l’idée d’un pistolet braqué sur lui, et jamais il ne s’était servi d’aucune arme. Cette horreur instinctive lui inspira bien des réflexions ; il chercha à s’habituer à l’éventualité possible où l’obligation de risquer sa vie s’imposerait à lui. Plus tard, parvenu à une haute position sociale, ces impressions s’effacèrent ; mais l’habitude de redouter sa propre lâcheté était si forte, qu’en ce moment Alexis Alexandrovitch resta longtemps en délibération avec lui-même, envisageant la perspective d’un duel, et l’examinant sous toutes ses faces, malgré la conviction intime qu’il ne se battrait en aucun cas.

« L’état de notre société est encore si sauvage que bien des gens approuveraient un duel : ce n’est pas comme en Angleterre. »

Et dans le nombre de ceux que cette solution satisferait, Alexis Alexandrovitch en connaissait à l’opinion desquels il tenait. « Et à quoi cela mènerait-il ? Admettons que je le provoque. » Ici il se