Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/509

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je n’y ai réellement jamais rien compris. Quel est le rôle du mari ?

— Le mari ? mais le mari de Lise Merkalof porte son plaid et se tient à son service. Quant au fond de la question, personne ne tient à le connaître. Vous savez qu’il y a des articles de toilette dont on ne parle jamais dans la bonne société, dont on tient même à ignorer l’existence ; il en est de même pour ces questions-là.

— Irez-vous à la fête des Rolandaki ? dit Anna pour changer de conversation.

— Je ne pense pas, — répondit Betsy, et, sans regarder son amie, elle versa avec soin le thé parfumé dans de petites tasses transparentes, puis elle prit une cigarette et se mit à fumer.

— La meilleure des situations est la mienne, dit-elle en cessant de rire ; je vous comprends, vous, et je comprends Lise. Lise est une de ces natures naïves, inconscientes comme celles des enfants, ignorant le bien et le mal ; au moins était-elle ainsi dans sa jeunesse, et, depuis qu’elle a reconnu que cette naïveté lui seyait, elle fait exprès de ne pas comprendre. Cela lui va tout de même. On peut considérer les mêmes choses de façons très différentes ; les uns prennent les événements de la vie au tragique, et s’en font un tourment ; les autres les prennent tout simplement, et même gaiement… Peut-être avez-vous des façons de voir trop tragiques ?

— Que je voudrais connaître les autres autant que je me connais moi-même, dit Anna d’un air