Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/536

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— Qui vient là ? dit tout à coup Wronsky en désignant deux dames qui venaient à leur rencontre. Peut-être nous connaissent-elles… » Et il entraîna précipitamment Anna dans une allée de côté.

« Cela m’est si indifférent ! — dit celle-ci ; ses lèvres tremblaient, et il sembla à Wronsky qu’elle le regardait sous son voile avec une expression de haine étrange. — Je le répète : dans toute cette affaire, je ne doute pas de toi ; mais lis ce qu’il m’écrit. » Et elle s’arrêta de nouveau.

Wronsky, tout en lisant la lettre, s’abandonna involontairement, comme il l’avait fait tout à l’heure en apprenant la rupture d’Anna avec son mari, à l’impression qu’éveillait en lui la pensée de ses rapports avec ce mari offensé ; malgré lui il se représentait la provocation qu’il recevrait le lendemain, le duel, le moment où, toujours calme et froid, il serait en face de son adversaire, et, après avoir déchargé son arme en l’air, attendrait que celui-ci tirât sur lui ;… et les paroles de Serpouhowskoï lui traversèrent l’esprit : « Mieux vaut ne pas s’enchaîner. » Comment faire entendre cela à Anna ?

Après avoir lu la lettre, il leva sur son amie un regard qui manquait de décision ; elle comprit qu’il avait réfléchi, et que, quelque chose qu’il dît, ce ne serait pas le fond de sa pensée. Il ne répondait pas à ce qu’elle avait attendu de lui ; son dernier espoir s’évanouissait.