Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/557

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— Mais avec vos ouvriers.

— Mes ouvriers ne veulent pas travailler convenablement en employant de bons instruments. Notre ouvrier ne comprend bien qu’une chose, se soûler comme une brute, et gâter tout ce qu’il touche : le cheval qu’on lui confie, le harnais neuf de son cheval ; il trouvera moyen de boire au cabaret jusqu’aux cercles de fer de ses roues, et d’introduire une cheville dans la batteuse pour la mettre hors d’usage. Tout ce qui ne se fait pas selon ses idées lui fait mal au cœur. Aussi l’agriculture baisse-t-elle visiblement ; la terre est négligée et reste en friche, à moins qu’on ne la cède aux paysans ; au lieu de produire des millions de tchetverts de blé, elle n’en produit plus que des centaines de mille. La richesse publique diminue. On aurait pu faire l’émancipation, mais progressivement. »

Et il développa son plan personnel, où toutes les difficultés auraient été évitées. Ce plan n’intéressait pas Levine, et il en revint à sa première question avec l’espoir d’amener Swiagesky à s’expliquer.

« Il est très certain que le niveau de notre agriculture baisse, et que dans nos rapports actuels avec les paysans il est impossible d’obtenir une exploitation rationnelle.

— Je ne suis pas de cet avis, répondit sérieusement Swiagesky. Que l’agriculture soit en décadence depuis le servage, je le nie, et je prétends qu’elle était alors dans un état fort misérable. Nous n’avons jamais eu ni machine, ni bétail convenables, ni