Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/567

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

air mélancolique, et représenta la nécessité de rentrer au plus tôt les dernières gerbes et de commencer le second labour. L’heure n’était pas propice aux longues discussions, et Levine s’aperçut que tous les travailleurs étaient trop occupés pour avoir le temps de comprendre ses projets.

Celui qui sembla le mieux entrer dans les idées du maître fut le berger Ivan, un paysan naïf, auquel Levine proposa de prendre part, comme associé, à l’exploitation de la bergerie ; mais, tout en l’écoutant parler, la figure d’Ivan exprimait l’inquiétude et le regret ; il remettait du foin dans les crèches, nettoyait le fumier, s’en allait puiser de l’eau, comme s’il eût été impossible de retarder cette besogne, et qu’il n’eût pas le loisir de comprendre.

L’obstacle principal auquel se heurta Levine fut le scepticisme enraciné des paysans ; ils ne pouvaient admettre que le propriétaire ne cherchât pas à les exploiter : quelque raisonnement qu’il leur tînt, ils étaient convaincus que son véritable but restait caché. De leur côté, ils parlaient beaucoup, mais ils se gardaient bien d’exprimer le fond de leur pensée.

Levine songea au propriétaire bilieux lorsqu’ils posèrent pour condition première de leurs nouveaux arrangements qu’ils ne seraient jamais forcés d’employer les instruments agricoles perfectionnés, et qu’ils n’entreraient pour rien dans les procédés introduits par le maître. Ils convenaient que ses charrues labouraient mieux et que l’extirpateur avait