Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/170

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de bougie. Il l’emporta tel quel, le plaça sur sa table, l’examina à distance en fermant à demi les yeux, puis sourit avec un geste satisfait.

« C’est ça, c’est ça ! » murmura-t-il, prenant un crayon et dessinant rapidement. Une des taches de bougie donnait à son esquisse un aspect nouveau.

Tout en crayonnant il se souvint du menton proéminent de l’homme auquel il achetait des cigares, et aussitôt son dessin prit cette même physionomie énergique et accentuée, et l’esquisse cessa d’être une chose vague, morte, pour s’animer et devenir vivante. Il en rit de plaisir. Comme il achevait soigneusement son dessin, on lui apporta les deux cartes.

« J’y vais à l’instant », répondit-il.

Puis il rentra chez sa femme.

« Voyons, Sacha, ne sois pas fâchée, dit-il avec un sourire tendre et en même temps craintif, tu as eu tort, j’ai eu tort aussi. J’arrangerai les choses. » Et, réconcilié avec sa femme, il endossa un paletot olive à collet de velours, prit son chapeau, et se rendit à l’atelier, vivement préoccupé de la visite de ces grands personnages russes, venus en calèche pour voir son atelier.

Au fond, son opinion sur le tableau qui s’y trouvait exposé se résumait ainsi : personne n’était capable d’en produire un pareil. Ce n’est pas qu’il le crût supérieur aux Raphaëls, mais il était sûr d’y avoir mis tout ce qu’il voulait y mettre, et défiait les autres d’en faire autant. Cependant, malgré cette conviction, qui datait pour lui du jour où l’œuvre avait été