Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apprendre qu’après avoir terminé leurs arrangements ils comptaient repartir le lendemain, et Lydie Ivanovna commençait à se rassurer, lorsqu’on lui apporta un billet dont elle reconnut aussitôt l’écriture : c’était celle d’Anna Karénine. L’enveloppe, en papier anglais épais comme une écorce d’arbre, contenait une feuille oblongue et jaune, ornée d’un immense monogramme ; le billet répandait un parfum délicieux :

« Qui l’a apporté ?

— Un commissionnaire d’hôtel. »

Longtemps la comtesse resta debout sans avoir le courage de s’asseoir pour lire ; l’émotion lui rendit presque un de ses accès d’asthme. Enfin, lorsqu’elle se fut calmée, elle ouvrit le billet suivant, écrit en français :

« Madame la comtesse,

« Les sentiments chrétiens dont votre âme est remplie me donnent l’audace impardonnable, je le sens, de m’adresser à vous. Je suis malheureuse d’être séparée de mon fils, et vous demande en grâce la permission de le voir une fois avant mon départ. Si je ne m’adresse pas directement à Alexis Alexandrovitch, c’est pour ne pas donner à cet homme généreux la douleur de s’occuper de moi. Connaissant votre amitié pour lui, j’ai pensé que vous me comprendriez : m’enverrez-vous Serge chez moi ? préférez-vous que je vienne à l’heure que vous m’indiquerez, ou me ferez-vous savoir comment et dans quel endroit je pourrais le voir ? Un refus me semble