Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/35

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tant, — répondit Oblonsky, ce qui ne l’empêcha pas de déboutonner son paletot, puis de l’ôter, et de rester toute une heure à bavarder avec Levine sur sa chasse et sur d’autres sujets.

— Dis-moi ce que tu as fait à l’étranger : où as-tu été ? demanda-t-il lorsque le paysan fut parti.

— J’ai été en Allemagne, en France, en Angleterre, mais seulement dans les centres manufacturiers et pas dans les capitales. J’ai vu beaucoup de choses intéressantes.

— Oui, oui, je sais, tes idées d’associations ouvrières.

— Oh non, il n’y a pas de question ouvrière pour nous : la seule question importante pour la Russie est celle des rapports du travailleur avec la terre ; elle existe bien là-bas aussi, mais les raccommodages y sont impossibles, tandis qu’ici… »

Oblonsky écoutait avec attention.

« Oui, oui, il est possible que tu aies raison, mais l’essentiel est de revenir en meilleure disposition ; tu chasses l’ours, tu travailles, tu t’enthousiasmes, tout va bien. Cherbatzky m’avait dit t’avoir rencontré sombre et mélancolique, ne parlant que de mort.

— C’est vrai, je ne cesse de penser à la mort, répondit Levine, tout est vanité, il faut mourir ! J’aime le travail, mais quand je pense que cet univers, dont nous nous croyons les maîtres, se compose d’un peu de moisissure couvrant la surface de la plus petite des planètes ! Quand je pense que nos idées, nos œuvres, ce que nous croyons faire de grand, sont l’équivalent de quelques grains de poussière !…