Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/407

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— Mon but était simplement d’écrire un livre d’agronomie, dit Levine en rougissant, mais malgré moi, en étudiant l’instrument principal, le travailleur, je suis arrivé à des conclusions fort imprévues. »

Et Levine développa ses idées, tout en tâtant prudemment le terrain, car il savait à Métrof des opinions opposées à l’enseignement politico-économique du moment, et doutait du degré de sympathie qu’il lui accorderait.

« En quoi le Russe, selon vous, diffère-t-il des autres peuples en tant que travailleur ? Est-ce au point de vue que vous qualifiez de zoologique, ou à celui des conditions matérielles dans lesquelles il se trouve ? »

Cette façon de poser la question prouvait à Levine une divergence d’idées absolue ; il continua néanmoins à exposer sa thèse, qui consistait à démontrer que le peuple russe ne peut avoir les mêmes rapports avec la terre que les autres nations européennes, par ce fait qu’il se sent d’instinct prédestiné à coloniser d’immenses espaces encore incultes.

« Il est aisé de se tromper sur les destinées générales d’un peuple en formant des conclusions prématurées, remarqua Métrof en interrompant Levine, et quant à la situation du travailleur, elle dépendra toujours de ses rapports avec la terre et le capital. »

Et, sans donner à Levine le temps de répliquer, il lui expliqua en quoi ses propres opinions différaient de celles qui avaient cours. Levine n’y comprit rien, et ne chercha même pas à comprendre ; pour lui, Métrof, comme tous les économistes, n’étu-