Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/56

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Stépane Arcadiévitch offrit précipitamment un cigare à Karénine.

« Non, je ne fume pas, – répondit celui-ci tranquillement, et, comme pour prouver qu’il ne redoutait pas cet entretien, il se retourna vers Pestzoff avec son sourire glacial.

— Cette inégalité tient, il me semble, au fond même de la question, – dit-il, et il se dirigea vers le salon ; mais ici Tourovtzine l’interpella encore.

— Avez-vous entendu l’histoire de Priatchnikof ? demanda-t-il, animé par le champagne, et profitant du moment impatiemment attendu de rompre un silence qui lui pesait. Wasia Priatchnikof ? – et il se tourna vers Alexis Alexandrovitch comme vers le principal convive, avec un bon sourire sur ses grosses lèvres rouges et humides. – On m’a raconté ce matin qu’il s’était battu à Tver avec Kwitzky, et qu’il l’a tué. »

La conversation s’engageait fatalement ce jour-là de façon à froisser Alexis Alexandrovitch ; Stépane Arcadiévitch s’en apercevait, et voulait emmener son beau-frère.

« Pourquoi s’est-il battu ? demanda Karénine sans paraître s’apercevoir des efforts d’Oblonsky pour distraire son attention.

— À cause de sa femme ; il s’est bravement conduit, car il a provoqué son rival, et l’a tué.

— Ah ! » fit Alexis Alexandrovitch levant les sourcils d’un air indifférent, et il quitta la chambre.

Dolly l’attendait dans un petit salon de passage, et lui dit avec un sourire craintif :