Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des zemstvo, des étudiants, des gentilshommes, des commerçants, expriment les sentiments les plus hostiles, les plus méprisants envers les Japonais, les Anglais, les Américains, pour qui, la veille encore, ils avaient de la sympathie ou de l’indifférence, et, sans nul besoin, témoignent des sentiments les plus plats, les plus serviles envers l’empereur, qui leur est au moins tout à fait indifférent ; ils l’assurent de leur dévouement infini et se disent prêts à sacrifier leur vie pour lui.

Et le malheureux souverain, guide reconnu d’un peuple de cent trente millions, toujours trompé et placé dans la nécessité de se contredire, les croit, les remercie et bénit pour le meurtre l’armée qu’il appelle la sienne et qui défendra des terres qu’avec moins de droits encore il peut appeler les siennes.

Tous se donnent les uns aux autres de vilaines icônes, auxquelles non seulement aucune personne éclairée ne croit, mais que le paysan illettré lui-même commence à mépriser. Tous s’inclinent devant ces icônes, les baisent et prononcent des discours emphatiques et mensongers auxquels personne ne croit. Les riches sacrifient une minime partie de leurs richesses, gagnées immoralement, pour l’œuvre de meurtre, pour la fabrication des engins, et les pauvres, chez lesquels, chaque année, le