Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/186

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— Eh bien ! parlez pour deux, car il a la passion des audiences sans jamais trouver un mot à dire, comme vous le verrez. »


XI

Le prince André, placé sur le passage de l’Empereur, dans le groupe des officiers autrichiens, eut l’honneur d’attirer son regard et de recevoir un salut de sa longue tête. La cérémonie achevée, l’aide de camp de la veille vint poliment transmettre à Bolkonsky le désir de Sa Majesté de lui donner audience. L’empereur François le reçut debout au milieu de son cabinet, et le prince André fut frappé de son embarras : il rougissait à tout propos et semblait ne savoir comment s’exprimer :

« Dites-moi à quel moment a commencé la bataille ? » demanda-t-il avec précipitation.

Le prince André, l’ayant satisfait sur ce point, se vit bientôt obligé de répondre à d’autres demandes tout aussi naïves.

« Comment se porte Koutouzow ? Quand a-t-il quitté Krems ?… » etc…

L’Empereur paraissait n’avoir qu’un but : poser un certain nombre de questions ; quant aux réponses, elles ne l’intéressaient guère.

« À quelle heure la bataille a-t-elle commencé ?

— Je ne saurais préciser à Votre Majesté l’heure à laquelle la bataille s’est engagée sur le front des troupes, car à Diernstein, où je me trouvais, la première attaque a eu lieu à six heures du soir, » reprit vivement Bolkonsky.

Il comptait présenter à l’Empereur une description exacte, qu’il tenait toute prête, de ce qu’il avait vu et appris.

L’Empereur lui coupa la parole, puis lui demanda en souriant :

« Combien de milles ?

— D’où et jusqu’où, sire ?

— De Diernstein à Krems ?

— Trois milles et demi, sire.

— Les Français ont-ils quitté la rive gauche ?

— D’après les derniers rapports de nos espions, les derniers Français ont traversé la rivière la même nuit sur des radeaux.

— Y a-t-il assez de fourrages à Krems ?