Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/409

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truelle, le cube de pierre de taille, la colonne, les trois fenêtres, etc. On lui indiqua ensuite sa place, on lui expliqua les signes maçonniques, on lui donna le mot de passe, et on lui permit enfin de s’asseoir. Le Vénérable fit la lecture des statuts. Elle fut très longue, et les sentiments dont Pierre était agité l’empêchèrent de l’écouter avec suite : il ne se rappela que le dernier paragraphe :

« Nous connaissons dans nos temples d’autres degrés que ceux qui séparent la vertu du vice. Crains de faire une différence qui puisse détruire cette égalité. Vole au secours de ton frère, quel qu’il soit ; ramène celui qui s’égare, relève celui qui tombe : ne nourris jamais aucun sentiment de haine ou d’inimitié contre lui. Sois bienveillant, affable ; allume dans tous les cœurs le feu de la vertu, partage ton bonheur avec le prochain, et que l’envie ne vienne jamais troubler cette pure jouissance. Pardonne à ton ennemi et ne te venge de lui qu’en lui rendant le bien pour le mal. En remplissant ces lois suprêmes, tu retrouveras les traces de ta grandeur ancienne et perdue. »

À ces mots, il se leva et embrassa Pierre, qui, les yeux pleins de larmes de joie, ne savait que répondre aux félicitations de tous, aussi bien de ceux qu’il n’avait jamais vus jusque-là que de ceux qui renouvelaient connaissance avec lui ; mais il ne faisait aucune différence entre ses anciens amis et ses nouveaux frères, et n’avait d’autre désir que de se joindre à eux dans l’accomplissement de leur grande œuvre.

Le Vénérable frappa du maillet, tous s’assirent, et, après leur avoir adressé une exhortation à l’humilité, il leur proposa d’accomplir la dernière cérémonie. Le haut dignitaire qui portait le titre de frère trésorier fit le tour de l’assemblée. Pierre aurait voulu s’inscrire sur cette liste pour tout ce qu’il possédait, mais la crainte d’être accusé d’ostentation l’arrêta, et il s’inscrivit pour la même somme que les autres.

La séance terminée, il rentra chez lui, et il lui sembla qu’il revenait, complètement transformé, d’un lointain voyage de plusieurs années, et qu’il n’avait plus rien de commun avec sa vie et ses habitudes passées.


V

Le lendemain de sa réception, Pierre employa la matinée à lire le livre qu’on lui avait remis et à tâcher de se pénétrer