Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un peu cousin par sa mère, et il est le parrain de Boris, ajouta-t-elle, en faisant semblant de n’attacher à ce fait aucune importance. Le prince Basile est à Moscou depuis hier soir.

— N’est-il pas chargé de faire une inspection ?

— Oui ; mais, entre nous soit dit, reprit la princesse, l’inspection n’est qu’un prétexte : il n’est arrivé que pour voir le comte Cyrille Vladimirovitch, quand il a su qu’il était au plus mal.

— Cela n’empêche pas, ma chère, l’histoire d’être excellente, dit le comte, qui, en se voyant peu écouté par les dames, se tourna du côté des demoiselles. Oh ! la bonne figure qu’il devait faire l’homme de police !… »

Et il se mit à contrefaire les gestes du policier en éclatant de rire d’une voix de basse-taille. C’était ce rire bruyant et sonore particulier aux gens qui aiment à bien manger et surtout à bien boire ; tout son gros corps en trembla.

« Vous revenez dîner, n’est-ce pas, ma chère ? » ajouta-t-il.


XI

Il se fit un grand silence. La comtesse regardait Mme Karaguine et souriait agréablement, sans même chercher à déguiser la satisfaction qu’elle éprouverait à la voir partir. La fille de Mme Karaguine arrangeait machinalement sa robe en interrogeant sa mère du regard, lorsqu’on entendit tout à coup comme le bruit de plusieurs personnes qui auraient traversé en courant la pièce voisine, puis la chute d’une chaise, et une fillette de treize ans, retenant d’une main le jupon retroussé de sa petite robe de mousseline dans lequel elle semblait cacher quelque chose, bondit jusqu’au milieu du salon et s’y arrêta tout court. Il était évident qu’une course désordonnée l’avait entraînée plus loin qu’elle ne voulait.

Au même moment se montrèrent à sa suite un étudiant au collet amarante, un officier de la garde, une jeune fille de quinze ans et un petit garçon en jaquette, au teint vif et coloré.

Le comte se leva en se balançant et, entourant la petite fille de ses bras :

« Ah ! la voilà, s’écria-t-il, c’est sa fête aujourd’hui ; ma chère, c’est sa fête !