Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/28

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active ni aux affaires de la loge, ni aux affaires de l’humanité, exclusivement occupés à approfondir les mystères de leur ordre, à rechercher le sens de la Trinité, à étudier les trois bases générales, le soufre, le mercure et le sel, ou la signification du carré et des autres symboles du Temple de Salomon. Ceux-là, Pierre les respectait, c’étaient les anciens et Bazdéïew lui-même ; mais il ne comprenait pas quel intérêt ils pouvaient prendre à leurs recherches, et ne se sentait nullement porté vers le côté mystique de la franc-maçonnerie.

La seconde catégorie, dans laquelle il se rangeait, se composait d’adeptes qui, vacillants comme lui, cherchaient la véritable voie, et qui, ne l’ayant pas encore découverte, ne perdaient pas néanmoins l’espoir de la trouver un jour.

La troisième comprenait ceux qui, ne voyant dans cette association que les formes et les cérémonies extérieures, s’en tenaient à la stricte observance, sans se préoccuper du sens caché ; tels étaient Villarsky et le Vénérable lui-même.

La quatrième enfin était formée des gens, très nombreux à cette époque, qui, ne croyant à rien, ne désirant rien, ne tenaient à l’ordre que pour se rapprocher des riches et des puissants, et mettre à profit leurs relations avec eux.

L’activité de Pierre ne le satisfaisait pas : il reprochait à leur association, telle qu’il la voyait à Pétersbourg, de n’être qu’un pur formalisme, et il se disait, sans attaquer toutefois les fondements de l’institution, que les maçons de Russie faisaient fausse route en s’éloignant ainsi des principes sur lesquels elle était fondée ; aussi se décida-t-il à aller à l’étranger pour se faire initier aux mystères les plus élevés.


Il en revint dans le cours de l’été de 1809. Les maçons de Russie avaient appris par leurs correspondants que Besoukhow, ayant su gagner la confiance des hauts dignitaires de l’ordre, avait été, par suite de son initiation à la plupart de leurs mystères, promu au grade le plus élevé, et qu’il rapportait avec lui beaucoup de projets ; ils vinrent le voir dès son arrivée, et crurent remarquer qu’il leur ménageait une surprise.

On décida de tenir une assemblée générale jusqu’au grade d’apprenti, afin que Pierre leur remît le message dont il était chargé. La loge était au grand complet, et, une fois les formalités remplies, Pierre se leva :

« Chers frères, dit-il en bégayant et en tenant à la main d’un air embarrassé son discours écrit, chers frères, il ne suffit