Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/290

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par habitude la tenue de ses voisines et leur manière de se signer : « Elles me jugent aussi sans doute ? » se disait-elle pour s’excuser. Mais aux premiers chants de la messe, elle frémit de terreur, en comparant ces futiles pensées à celles que le jour de sa communion aurait dû lui inspirer… N’en avait-elle pas à tout jamais terni la radieuse pureté ?

Un digne et respectable vieillard officiait avec la douce onction qui pénètre et repose l’âme de ceux qui prient. Les portes saintes se refermèrent, et derrière le rideau lentement tiré une voix mystérieuse murmura quelques paroles. Les yeux de Natacha se remplirent involontairement de larmes, et une douce et énervante émotion envahit tout son être.

« Enseigne-moi ce que j’ai à faire, enseigne-moi à me résigner, enseigne-moi surtout à me corriger pour toujours, » pensait-elle.

Le diacre, sortant de l’iconostase, se plaça devant les portes saintes, retira ses longs cheveux de dessous la dalmatique, et, faisant un grand signe de croix, dit avec solennité :

« Prions en paix le Seigneur !… » Et Natacha ajoutait mentalement :

« Prions, sans différence de conditions, sans haine, unis tous ensemble dans l’amour fraternel !

— Prions, afin qu’il nous accorde la paix du ciel et le salut de nos âmes, » disait le diacre, et Natacha lui répondait du fond du cœur : « Prions pour obtenir la paix des anges, la paix de tous les êtres spirituels qui vivent au-dessus de nous. »

À la prière pour l’armée, elle invoqua le Seigneur pour son frère et pour Denissow ; à la prière pour les voyageurs sur terre et sur mer, elle pria pour le prince André, et demanda à Dieu pardon du mal qu’elle lui avait fait ; à la prière pour ceux qui nous aiment, elle pria pour les siens, et comprit, pour la première fois, les torts qu’elle avait eus envers eux ; à la prière pour ceux qui nous haïssent, elle se demanda quels pouvaient être ses ennemis et n’en trouva pas d’autres que les créanciers de son père. Un nom pourtant, celui d’Anatole, lui venait toujours aux lèvres à ce moment, et, bien qu’il ne fût pas de ceux qui l’avaient haïe, elle priait pour lui avec un redoublement de ferveur comme pour un ennemi. Il ne lui était possible de penser avec calme à lui et au prince André que lorsqu’elle se recueillait, car alors seulement la crainte de Dieu l’emportait sur ses sentiments à leur égard. À la prière pour la famille impériale et le saint synode, elle se signa plus