Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/212

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à une vieille dame, très grande, très forte, coiffée d’une toque bleue, qui venait de finir sa partie avec les gros bonnets la ville.

C’était Mme Malvintzew, la tante de la princesse Marie, du côté de sa mère, veuve riche et sans enfants, fixée pour toujours à Voronège. Elle était debout et payait sa dette de jeu, lorsque Rostow la salua. Le regardant de toute sa hauteur, et fronçant le sourcil, elle continua à malmener le général qui lui avait gagné son argent.

« Enchantée, mon cher ! dit-elle en lui tendant la main. Venez me voir. »

Après avoir échangé quelques mots avec lui au sujet de la princesse Marie, et de son défunt père, qu’elle n’avait jamais porté dans son cœur, elle lui demanda des nouvelles du prince André, pour lequel elle n’avait pas non plus une grande sympathie ; elle le congédia enfin, en lui réitérant son invitation, Nicolas lui promit de s’y rendre et rougit de nouveau en la quittant, car le nom de la princesse Marie lui faisait éprouver un sentiment incompréhensible de timidité et même de crainte.

Sur le point de retourner à la danse, il fut arrêté par la petite main potelée de Mme la gouvernante, qui avait quelques mots à lui dire ; elle l’emmena dans un salon d’où les invités se retirèrent par discrétion.

« Sais-tu, mon cher, lui dit-elle en donnant un air de gravité à son bienveillant petit visage, j’ai trouvé un parti pour toi ; veux-tu que je te marie ?

— Avec qui, ma tante ?

— La princesse Marie ! Catherine Pétrovna propose Lili ; moi, je penche pour la princesse… Veux-tu ? Je suis sûre que ta maman m’en remerciera ; c’est une fille charmante et pas du tout si laide qu’on veut bien le dire.

— Mais elle n’est pas laide du tout, s’écria Nicolas d’un ton offensé ; quant à moi, ma tante, j’agis en soldat, je ne m’impose à personne, et je ne refuse rien, poursuivit-il sans se donner le temps de réfléchir à sa réponse.

— Alors souviens-toi que ce n’est pas une plaisanterie, et dans ce cas, mon cher, je te ferai observer que tu es trop assidu auprès de l’autre, de la blonde ! Le mari fait vraiment peine à voir !

— Quelle idée ! Nous sommes amis, » reprit Nicolas, qui, dans sa naïve simplicité, ne pouvait supposer qu’un aussi agréable passe-temps pût porter ombrage à quelqu’un… « J’ai