Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/256

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Lorsque cette lettre arriva à Koutouzow, celui-ci avait livré bataille, ne pouvant plus empêcher son armée de prendre l’offensive. Le 2 octobre, le cosaque Schapovalow, battant la plaine, tua un lièvre et en blessa un autre ; en poursuivant ce dernier, il se laissa entraîner au loin dans la forêt, et tomba inopinément sur le flanc gauche de l’armée de Murat, qui ne se gardait pas. Il raconta la chose en riant à ses camarades, et le porte-drapeau qui l’entendit en fit part à son commandant, Le cosaque fut appelé, questionné, et ses chefs eurent l’idée de profiter de cette bonne aubaine pour enlever des chevaux, et l’un d’eux, connu des hauts fonctionnaires de l’armée, communiqua le fait à un général de l’état-major. La situation y était des plus tendues dans ces derniers temps. Yermolow était venu trouver Bennigsen quelques jours auparavant pour le supplier d’user de son influence sur le commandant en chef afin qu’il se décidât à l’attaque.

« Si je ne vous connaissais pas, répondit Bennigsen, j’aurais cru que vous désiriez le contraire de ce que vous me demandez, car il suffit que je conseille une chose, pour que Son Altesse fasse tout l’opposé. »

Le récit des cosaques, confirmé par d’autres éclaireurs, démontra que tout était prêt pour l’explosion. Les ressorts se détendirent, les rouages grincèrent, et le carillon joua. En dépit de son pouvoir présumé, de son intelligence, de son expérience, de sa connaissance des hommes, Koutouzow, prenant en considération le rapport envoyé par Bennigsen à l’Empereur, le désir exprimé par tous les généraux, celui qu’on imputait à Sa Majesté, la nouvelle apportée par les cosaques, n’eut pas la force de comprimer ce mouvement : il ordonna donc ce qu’il considérait comme inutile et même nuisible, il donna son assentiment au fait accompli.

IV

L’attaque fut ordonnée pour le 5 octobre.

La veille, Koutouzow signa la dislocation des troupes. Toll en fit lecture à Yermolow, en lui proposant de s’occuper des dispositions à prendre.

« Bien, bien, dit Yermolow, mais je n’en ai pas le temps dans ce moment. »