Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/270

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ses troupes au moyen de faux assignats russes[1] ! Relevant l’emploi de ces moyens par un acte digne de lui et de l’armée française, il fait distribuer des secours aux incendiés. Mais, les vivres étant trop précieux pour être donnés à des étrangers la plupart ennemis, Napoléon aime mieux leur fournir de l’argent, afin qu’ils s’approvisionnent au dehors, et il leur fait distribuer, à eux aussi, des roubles-papier. Enfin, pour maintenir la discipline de l’armée, il ne cesse d’ordonner de sévères enquêtes au sujet des infractions au service, et de rigoureuses poursuites contre les fauteurs de pillage.

X

Mais, chose étrange ! toutes ces mesures, qui n’étaient en rien inférieures aux dispositions qu’il avait prises ailleurs en pareille circonstance, n’atteignaient que la superficie, comme on voit les aiguilles d’un cadran, séparé de son mécanisme, tourner au hasard sans en entraîner les rouages dans leur mouvement.

M. Thiers dit, en parlant du plan si remarquable de Napoléon, que son génie n’avait jamais rien imaginé de plus profond, de plus habile et de plus admirable, et il prouve, dans sa polémique avec M. Fain, que la rédaction doit en être portée, non au 4, mais bien au 15 octobre[2]. Ce plan « si remarquable » ne fut jamais et n’aurait jamais pu être exécuté, parce qu’il n’était pas applicable aux circonstances présentes. Les fortifications du Kremlin, pour la construction desquelles il fallait détruire la mosquée (ainsi que Napoléon appelait l’église de Saint-Basile), furent inutiles, et les mines creusées sous le Kremlin n’eurent d’autre effet que de l’aider à accomplir son désir de faire sauter cet édifice en quittant Moscou ; de même que, pour consoler un enfant d’une chute, on s’en prend au plancher sur lequel il est tombé. La poursuite de l’armée russe, cause de tant de soucis pour Napoléon, présenta un phénomène extraordinaire : les généraux perdirent

  1. Pour compléter la phrase de M. Thiers, t. XIV, p. 392. (Note du trad.)
  2. Voir la note de M. Thiers, t. XIV, p. 415. (Note du trad.)