Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/131

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Au milieu du quai, il rencontra un élève de l’École de Droit, d’une taille aussi haute que la sienne, en uniforme et chapeau. Apercevant l’uniforme de l’école qu’il n’aimait point à cause de son libéralisme, Nicolas Pavlovitch fronça les sourcils, mais la grande taille et la tenue militaire, soignée, de l’élève, et le salut militaire qu’il fit, exprès, le coude tourné en avant, adoucirent son mécontentement.

— Quel nom ? demanda-t-il.

— Polosatoff, Votre Majesté.

— Tu es un brave.

L’élève était resté droit, immobile, la main au chapeau.

— Veux-tu entrer au service militaire ?

— Non, Votre Majesté.

— Imbécile ! Et Nicolas, se détournant de lui, alla plus loin, et se mit à prononcer à haute voix les premiers mots qui lui vinrent en tête.

« Kopervein, Kopervein, » répéta-t-il plusieurs fois le nom de la jeune fille de la veille. « Mal, mal. » Il ne pensait pas à ce qu’il disait, mais il étouffait son malaise moral par l’attention aux mots qu’il prononçait. « Oui, qu’adviendrait-il de la Russie sans moi ? », se dit-il, sentant venir de nouveau un sentiment de mécontentement. « Oui, qu’adviendrait-il sans moi, non seulement de la Russie, mais de toute l’Europe ? » Il se rappela son beau-frère le roi de Prusse, sa faiblesse, sa sottise, et hocha la tête.

En rentrant au palais, il aperçut le landau