Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/140

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— J’ai fait cela parce que je le croyais nécessaire, dit-il, et je ne permettrai pas de discuter mes actes.

Bibikoff comprenait toute la cruauté de l’ordre concernant les uniates, et toute l’injustice du transfert des paysans du Trésor, c’est-à-dire d’hommes libres, en paysans de la famille impériale, c’est-à-dire en serfs de cette famille. Mais il n’y avait rien à objecter. N’être pas d’accord avec l’ordre de Nicolas, cela signifiait perdre cette situation brillante acquise par quarante ans de labeur, dont il jouissait maintenant. C’est pourquoi il inclina respectueusement sa tête noire grisonnante, en signe qu’il obéirait et qu’il était prêt à exécuter la volonté impériale, cruelle, folle et malhonnête.

Ayant donné congé à Bibikoff, Nicolas, avec la conscience du devoir bien rempli, s’étira, regarda sa montre, et alla s’habiller pour la sortie. Il revêtit un uniforme à épaulettes, chamarré de décorations et de rubans, et cela fait, il entra dans le salon de réception où plus de cent personnes, les messieurs en uniformes, les dames en robes de gala, décolletées, tous rangés à certaines places déterminées, en tremblant, attendaient sa sortie.

Il s’avança, le regard terne, la poitrine bombée, le ventre saillant, vers ceux qui l’attendaient ; et, les sentant tous tremblants de servilité, et leurs regards tournés vers lui, il prit un air encore plus solennel. Quand ses yeux rencontraient des visages connus, il se rappelait les noms, s’arrêtait, disait