Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/219

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bechmet, en tamponna sa blessure et continua à tirer.

— Jetons-nous sur eux avec nos sabres ! dit Eldar pour la troisième fois. Il regarda derrière la tranchée, prêt à fondre sur les ennemis, mais au même moment une balle l’atteignit. Il chancela et tomba à la renverse sur la jambe de Hadji Mourad. Hadji Mourad le regarda. Les beaux yeux de brebis regardaient fixement et sérieusement Hadji Mourad ; la bouche, avec sa lèvre inférieure proéminente comme chez les enfants, remuait sans s’ouvrir. Hadji Mourad dégagea sa jambe et continua à tirer. Khanefi se pencha sur Eldar tué et retira de sa tcherkeska les cartouches non usées. Khan-Magom pendant ce temps chantait toujours, chargeait lentement et tirait. Les ennemis couraient d’un arbre à l’autre et se rapprochaient de plus en plus, en poussant des cris aigus. Une seconde balle frappa Hadji Mourad dans le côté gauche. Il se coucha dans le fossé, et, arrachant de nouveau un peu d’ouate de son bechmet, tamponna la blessure. Mais cette blessure était mortelle ; il sentit qu’il se mourait. Les souvenirs et les images, avec une rapidité extraordinaire, les uns après les autres passaient devant lui. Tantôt il revoyait l’athlétique Abounountzan Khan, retenant d’une main sa joue fendue, pendante, et de l’autre, armée du poignard, se jetant sur l’ennemi ; tantôt il revoyait le vieillard anémié Vorontzoff, avec son visage pâle, rusé, et il entendait sa voix douce ; tantôt il revoyait son