Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/228

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lui, mais de la participation au mal. Quelles souffrances morales endurai-je, et que se passa-t-il dans mon âme quand je compris tous mes péchés, et la nécessité du rachat (non le rachat des péchés, mais le vrai rachat de mes péchés par mes souffrances), je raconterai tout cela en son lieu. Maintenant je décrirai mes actes eux-mêmes, comment je parvins à me débarrasser de ma situation en laissant comme mon cadavre le cadavre d’un soldat que j’avais torturé à mort ; puis je décrirai ma vie, du commencement même.

Ma fuite s’opéra de la façon suivante. À Taganrog je vivais dans la même folie que pendant toutes ces dernières vingt-quatre années. Moi, le plus grand des criminels, assassin de mon père, assassin de centaines de mille hommes à la guerre dont j’étais cause, moi, débauché ignoble, malfaiteur, je croyais ce qu’on disait de moi. Je me croyais le sauveur de l’Europe, le bienfaiteur de l’humanité, un homme exceptionnellement parfait, un « heureux hasard, » comme je le disais à Mme de Staël. Je me regardais comme tel. Cependant Dieu ne m’avait pas complètement abandonné, et la voix vigilante de la conscience me tourmentait sans cesse. Rien ne me paraissait bon. Tous étaient coupables. Moi seul étais bon et personne ne le comprenait. Je m’adressais à Dieu. Tantôt je priais le Dieu orthodoxe avec le Métropolite Photius ; tantôt le Dieu catholique ; tantôt le Dieu protestant avec Parrot ; tantôt le Dieu des illuminés avec Mme Krudener. Mais je ne m’adressais à Dieu que devant les