Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/263

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Comme tous les garçons de notre milieu, sains d’esprit, j’entrai au lycée, puis à l’université où je terminai les cours de la faculté de droit. Ensuite je servis quelque temps, puis je fis connaissance de ma femme actuelle et me mariai. Je servais à la campagne, comme on dit : j’élevais mes enfants, je m’occupais de mes biens, et j’étais juge de paix. La dixième année de mon mariage je fus repris, pour la première fois depuis mon enfance, d’un accès de folie. Avec l’argent provenant de l’héritage fait par ma femme, uni à celui qu’on m’avait versé pour les terres rachetées lors de l’émancipation, nous avions résolu, ma femme et moi, d’acheter un domaine. J’étais très désireux, comme cela devait être, d’augmenter notre fortune, et je tenais à le faire de la façon la plus intelligente, mieux que les autres. Je me renseignais partout où l’on vendait des propriétés et lisais les annonces des journaux. Je voulais acheter de telle façon que la vente du bois de la propriété pût couvrir le prix d’achat, de sorte que la propriété me serait restée pour rien. Je cherchais un imbécile n’y comprenant rien, et, comme il me sembla, je le trouvai. Dans le gouvernement de Penza, on vendait une propriété avec un grand bois. D’après les renseignements que je m’étais procurés, le vendeur était précisément l’imbécile que je cherchais, et le bois paierait le prix de la propriété. Je fis mes préparatifs et partis. D’abord nous voyageâmes en chemin de fer (j’avais emmené mon domestique), ensuite avec des chevaux de