Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/313

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mère a vécu jusqu’à soixante-dix ans et mon père jusqu’à quatre-vingts, — je voudrais que ces cahiers vous fussent transmis. Vous lirez et déciderez s’il y a là quelque chose d’utile ; si oui, alors que les autres en profitent. Car personne ne sait rien. Nous nous tourmentons, nous souffrons pour les enfants depuis la grossesse jusqu’au moment où ils commencent à faire valoir leurs droits. Toutes ces nuits sans sommeil, ces souffrances, ces inquiétudes, ces désespoirs, tout cela serait bien s’il y avait l’amour, s’ils étaient heureux. Mais il n’y a pas cela. Tout ce que vous voulez ce n’est pas ça… Voilà, j’ai tout écrit… Vous lirez après ma mort, n’est-ce pas ? »

Je le lui promis, bien que je ne m’attendais pas à lui survivre, et nous nous séparâmes.

Un mois plus tard, j’appris qu’elle était morte. Pendant les vêpres, elle s’était sentie mal, s’était assise sur un pliant qu’elle avait apporté, s’était appuyée contre le mur, et était tombée morte. Elle souffrait d’une maladie de cœur. Je me rendis aux funérailles. Presque tous les enfants étaient là, sauf Hélène, qui se trouvait à l’étranger, et Mitia, celui qui avait eu la scarlatine ; il n’avait pas pu venir parce qu’en ce moment, il soignait au Caucase sa syphilis.

Ses funérailles grandioses imposèrent aux moines un respect plus grand que celui qu’ils lui avaient témoigné de son vivant.

Tout ce qu’elle avait laissé fut partagé et distribué comme souvenirs. Vu notre amitié, on me