Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/336

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— Oui, on peut aller plus doucement. Alors, elle est morte ?

— Oui, elle est morte, répondit le prêtre.

Le paysan avait pitié, mais, en même temps, voulait blaguer.

— Bah ! Il avait une femme, il en prendra une autre, dit-il, cédant au besoin de plaisanter.

— Non, il est à plaindre, dit le prêtre.

— Comment donc ? Sans doute qu’il est à plaindre. La misère… Il est seul. Il est venu me trouver et m’a dit : « Reconduis le pope, ma jument ne peut plus marcher ». Sans doute il faut avoir pitié. C’est ce que je dis, mon père.

— Mais je vois que tu as bu déjà. N’est-ce pas ? C’est bien inutile, Fédor, ce n’est pas fête aujourd’hui.

— Quoi ! Est-ce que j’ai bu avec l’argent des autres ? C’est avec mon argent. J’ai accompagné mon fils. Pardonne-moi, mon père, au nom du Christ.

— Je n’ai pas à te pardonner. Je dis seulement qu’il est mieux de ne pas boire.

— Sans doute c’est mieux ; mais comment faire ? Si j’étais n’importe qui… mais moi, grâce à Dieu, je vis bien… Pour ce qui est de Dmitri, je le plains beaucoup. Comment ne pas avoir pitié… Cet été, on lui a volé un cheval. Quelle engeance au jour d’aujourd’hui !

Et Fédor se mit à raconter une longue histoire de chevaux volés à la foire, qu’on avait tués pour vendre la peau ; puis, avec un plaisir évident, il