Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/73

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douze tchetvert[1] d’avoine mis dans des sacs soigneusement fermés avec des épingles de bois, furent placés sur le traîneau pour être portés en ville, elle remit au vieux une lettre écrite sous sa dictée par le sacristain, et le vieux lui promit d’ajouter à la lettre un rouble et de l’envoyer à l’adresse de son fils.

Le vieux, vêtu d’une pelisse neuve et d’un caftan, les jambes entourées de chaudes bandelettes de laine blanche, prit la lettre, la mit dans son calepin, et après avoir prié Dieu s’assit dans le traîneau de devant et se rendit à la ville. Son petit-fils conduisait le traîneau de derrière. En ville le vieux demanda à un portier de lui lire la lettre, et écouta attentivement en hochant approbativement la tête. Dans la lettre de la mère de Piotr on lui envoyait d’abord la bénédiction, ensuite le salut de tout le monde, la nouvelle de la mort du parrain, et, à la fin, la nouvelle qu’Axinia (la femme de Piotr) n’avait pas voulu vivre avec eux et était partie en service chez des étrangers : « Nous avons entendu qu’elle vit bien et honnêtement. » On mentionnait encore le cadeau, le rouble ; puis encore ce que la vieille, triste, les larmes aux yeux, avait ordonné au sacristain d’écrire mot à mot sous sa dictée : « Et encore, mon cher enfant, mon petit pigeon, mon Piotr, j’ai pleuré tout mes yeux en m’attristant sur toi. Mon soleil bien-aimé, à qui m’as-tu laissée ?… » À ce passage la vieille s’était mise à sangloter et avait dit qu’il fallait

  1. Le tchetvert vaut 2Hl,097.