Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/80

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Tous se sentirent gênés, mais le prince grouzine répara la maladresse. C’était un homme très sot, mais flatteur et courtisan très habile et très fin. Il était assis de l’autre côté de la princesse Vorontzoff. Comme s’il ne remarquait rien, il se mit à raconter très haut l’enlèvement de la veuve d’Akhmet Khan par Hadji Mourad. Pendant la nuit, il pénétra dans le village, saisit sa proie et s’enfuit avec tout son détachement.

— Mais pourquoi avait-il besoin précisément de cette femme ? demanda la princesse.

— Il était l’ennemi de son mari ; il le poursuivait, mais le khan mourut avant qu’il l’ait pu rencontrer. Alors, voilà, il s’est vengé sur la veuve.

La princesse traduisit cela en français à sa vieille amie, la comtesse de Choiseul, assise à côté du prince grouzine.

— Quelle horreur ! dit la comtesse en fermant les yeux et secouant la tête.

— Ah, non ! dit Vorontzoff en souriant. On m’a raconté qu’il s’était conduit très respectueusement envers sa captive, et qu’ensuite il lui rendit la liberté.

— Oui, on l’a rachetée.

— Sans doute, mais tout de même il a agi noblement.

Ces paroles du prince donnèrent le ton aux différents récits faits ensuite sur Hadji Mourad. Les courtisans avaient compris que, plus ils donneraient d’importance à Hadji Mourad, plus ce serait agréable au prince Vorontzoff.