Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/75

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se dirigea d’un pas léger et content vers la maison où se trouvaient les recrues de Pokrofsky.

Ilia et sa jeune femme, assis dans un coin, se parlaient en chuchotant. Aussitôt qu’ils virent entrer le vieux, ils cessèrent leur conversation et le regardèrent d’un air méfiant.

Le vieux, selon son habitude, commença par faire le signe de la croix, puis il enleva sa ceinture et sortit de sa poche intérieure, un papier. Il appela alors son fils aîné et la mère d’Iliouchka.

— Iliouchka, tu m’as dit une parole bien dure l’autre soir ; c’est un grand péché. Crois-tu que je ne te plains pas ? Je me souviens, comme si c’était hier, du jour où ton père t’a confié à moi. Si je l’avais pu, crois-tu que je n’aurais pas fait mon possible pour te garder avec moi ? Dieu m’a envoyé une grande joie et j’en ai profité pour te libérer du service… Voici le petit papier, dit-il en posant la quittance sur la table et en le déployant de ses vieux doigts crochus.

Tous les ouvriers du marchand, les paysans de Pokrofsky, et les recrues envahirent la pièce. Ils devinaient de quoi il s’agissait, mais personne n’osa interrompre le vieux qui, de sa voix solennelle, continua :

— Voici le papier en question ! Je l’ai payé quatre cents roubles ! Ne fais plus de reproches à ton vieil oncle !

Iliouchka se leva. Son émotion l’étranglait, il ne put proférer une seule parole. Sa vieille mère voulut se jeter au cou de son fils, mais le vieux l’éloigna d’un geste impérieux et continua :

— Tu m’as dit une parole hier, une parole que je ne puis oublier. Elle m’a fait tout aussi mal que