Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la Bible, je pus me convaincre que « prochain » dans le langage des Hébreux désigne invariablement et exclusivement un Hébreu. On trouve la même définition dans l’Évangile (parabole du Samaritain). D’après les idées du Juif, docteur de la loi, qui demande, Luc, x, 29 : « Et qui est mon prochain » ? — le Samaritain ne pouvait pas être le prochain. La même définition du « prochain » se trouve dans les Actes, vii, 27. « Prochain », dans le langage évangélique, veut dire compatriote, un homme appartenant à la même nationalité. C’est pourquoi je suppose que l’antithèse dont Jésus se sert en citant les paroles de la loi : Vous avez appris qu’il a été dit : « Vous aimerez votre prochain..., vous haïrez votre ennemi » consiste dans l’opposition des mots compatriote et étranger. Je me demande ce qu’est un ennemi d’après les idées juives, et je trouve la confirmation de ma supposition. Le mot « ennemi » s’emploie dans les Évangiles presque toujours dans le sens, non pas d’ennemi personnel, mais en général de peuple ennemi (Luc, i, 71 et 74 ; Matth., xxii, 44 ; Marc, xii, 36 ; Luc, xx, 43, etc.). Le singulier auquel est employé le mot « ennemi » dans ce verset, « Vous haïrez votre ennemi » m’indique qu’il est question ici de peuple ennemi. Dans l’Ancien Testament, la conception « peuple ennemi » s’exprime le plus souvent par le singulier.

Et aussitôt que j’eus compris cela, je vis tomber d’elle-même la question : pourquoi et comment Jésus, qui citait chaque fois les paroles authentiques de la loi, a-t-il pu citer ici, tout à coup, des paroles comme : « Vous haïrez votre ennemi », qui n’ont pas été dites. Il suffit de comprendre le mot ennemi dans le sens de peuple ennemi et prochain dans le sens de compatriote, pour que la