Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/172

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mais ce désir ne peut se réaliser dans leur vie, quels que soient leurs efforts pour y réussir. Ils auront beau prier, communier, faire de la bienfaisance, bâtir des églises, convertir les autres, ils ne pourront suivre l’exemple de Jésus parce que leurs actes découlent d’une foi basée sur une tout autre doctrine que celle qu’ils confessent. Ils ne pourraient offrir en sacrifice un fils unique comme le fit Abraham, tandis qu’Abraham ne pouvait même pas avoir d’hésitation sur la question de savoir s’il offrirait ou non son fils en sacrifice à Dieu, à ce Dieu qui seul constituerait pour lui le sens et le vrai bien de la vie : de même Jésus et ses disciples ne pouvaient pas ne pas donner leur vie pour les autres parce que cela seul constituait à leurs yeux le sens et le bien de leur vie. C’est précisément dans cette incapacité de comprendre ce qui forme la substance de la foi, que se trouve l’explication de cet étrange état moral des hommes qui, tout en reconnaissant qu’on doit vivre suivant la doctrine de Jésus, s’efforcent cependant de vivre contrairement à cette doctrine, c’est-à-dire conformément à leur croyance que la vie personnelle est le souverain bien.

La base de la foi, c’est le sens qu’on prête à la vie et qui détermine ce que l’on y estime important et bon, ou peu important et mauvais. La foi même, c’est l’appréciation du bien et du mal. Si aujourd’hui les hommes qui ont une foi basée sur leurs propres doctrines ne réussissent aucunement à la mettre d’accord avec la foi qui découle de la doctrine de Jésus, il en était de même autrefois pour les disciples. Ce malentendu apparaît fréquemment dans l’Évangile en termes clairs et tranchants. Les disciples de Jésus lui demandent à plusieurs