Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/191

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Tous ces gens ont abandonné leur maison., leur champ, leurs parents, leurs pères, souvent leurs femmes et leurs enfants ; ils ont renoncé à tout ce qui constitue la vie elle-même, et ils sont venus dans les villes pour acquérir ce qui, selon la doctrine du monde, passe pour indispensable à chacun d’eux. Et tous ces gens, ces malheureux que l’on compte par dizaine de milliers dorment dans des abris de nuit et subsistent d’eau-de-vie et d’aliments pourris.

À commencer par les ouvriers des fabriques, les cochers de fiacre, les couturières, les lorettes jusqu’aux riches marchands et aux ministres avec leurs femmes, — tous endurent l’existence la plus pénible et la plus anormale sans avoir pu acquérir ce qui passe pour indispensable à chacun d’eux, selon la doctrine du monde.

Cherchez parmi ces hommes et trouvez, depuis le gueux jusqu’au richard, un homme qui se contente de ce qu’il gagne pour se procurer tout ce qu’il considère indispensable selon la doctrine du monde, et vous verrez que vous n’en trouverez pas un sur mille. Chacun s’épuise à vouloir acquérir ce qui lui est inutile, mais ce qui est exigé selon la doctrine du monde et ce qu’il se sent malheureux de ne pas posséder, et à peine s’est-il procuré cet objet qu’il lui en faut un autre, puis encore un autre et ainsi dure sans fin ce travail de Sisyphe, qui détruit la vie des hommes. Prenez l’échelle des fortunes depuis les individus qui ont à dépenser par an 300 roubles jusqu’à ceux qui en ont 50,000 et rarement vous trouverez quelqu’un qui ne s’épuise et ne plie sous l’effort fait pour gagner 400 roubles s’il en a 300, 500 s’il en a 400 et ainsi de suite à l’infini.

Et il n’y en a pas un seul qui, possédant 500 roubles,