Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un agneau qui vient de naître remue les oreilles et les yeux, il frétille de la queue, il bondit, il rue. Il nous paraît, d’après ses mouvements décidés, qu’il sait tout, — mais le pauvret ne sait rien. Toute cette impétuosité, cette énergie, est le fruit des sucs de la mère, dont la transmission vient d’être interrompue sans plus pouvoir se renouveler. Il est dans une situation bienheureuse et en même temps désespérée. Il est plein de jeunesse et de force, mais il est perdu s’il ne saisit la mamelle de sa mère.

C’est justement ce qui se passe dans notre monde européen. Voyez quelle vie complexe, énergique, on dirait raisonnable, bouillonne dans notre monde européen. On dirait que tous ces gens savent tous ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Voyez avec quelle énergie, — quelle vigueur, — quelle jeunesse, les gens de notre monde font tout ce qu’ils font. Les arts, les sciences, l’industrie, l’activité publique et gouvernementale, tout est plein de vie. Mais tout cela n’est vivant que parce que cela se nourrissait encore tout récemment des sucs de la mère par le cordon ombilical. Il y avait l’Église par l’entremise de laquelle la vérité de la doctrine de Jésus se communiquait à la vie du monde. Chaque phénomène du monde y puisait sa nourriture, grandissait et se développait. Mais l’Église a fait son œuvre et s’est atrophiée.

L’organisme du monde est vivant ; la source de son ancienne nourriture est tarie et il n’a pas encore trouvé la nouvelle ; et il la cherche partout, seulement pas chez sa mère. Il est comme un agneau encore plein de l’ancienne nourriture, et il n’est pas encore arrivé à comprendre que cette nourriture n’est nulle part ailleurs