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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/238

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qu’ils supposent que tu supposes….. Bref, ajouta-t-il, sentant qu’il s’embrouillait dans son raisonnement, le mieux de beaucoup, c’est de ne rien supposer du tout. »

Mon ami avait parfaitement raison. Ce n’est que beaucoup, beaucoup plus tard que j’appris, par l’expérience de la vie, combien il est mauvais de penser, et encore plus de dire, une foule de choses qui nous paraissent très nobles, mais qui devraient rester éternellement enfouies au fond du cœur de l’homme. J’appris aussi que les paroles nobles vont rarement de pair avec les actions nobles. Je suis convaincu que le seul fait d’avoir exprimé une bonne intention en rend l’accomplissement difficile, la plupart du temps impossible. Mais comment empêcher la jeunesse de faire parade de ses beaux sentiments ? Ce n’est que beaucoup plus tard qu’en se rappelant ces nobles élans, on éprouve la même impression de regret qu’à l’aspect d’une fleur qu’on n’a pu s’empêcher de cueillir avant qu’elle fût épanouie et qu’on voit maintenant à terre, flétrie et foulée aux pieds.

Moi qui venais de dire, à l’instant même, à mon ami Dmitri que les questions d’argent gâtaient toutes les relations, je lui empruntai le lendemain matin, avant de partir pour la campagne, 25 roubles en papier pour mon voyage. Il s’était trouvé que j’avais gaspillé tout mon argent en gouaches et en pipes turques ; Dmitri m’offrit les 25 roubles, je les pris et fus très longtemps à les lui rendre.


LXIII

CONVERSATION INTIME AVEC MON AMI


Cette conversation eut lieu en phaéton, sur la route de Kountsof. Dmitri m’avait déconseillé de faire visite à sa