Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bex et ses environs sont d’ailleurs une contrée faite tout exprès pour l’artiste. Partout de grands et beaux arbres groupés en bouquets, ou irrégulièrement alignés le long des sentiers montants ; ci et là des rochers caverneux, des eaux avec leur riche bordure d’arbustes : du côté du Valais, une gorge majestueusement sauvage ; du côté de Genève, des plages douces, le lac, un bas et vaporeux horizon. Ce qui manque à Bex, comme partout dans notre contrée romande, ce sont des constructions sinon ornées ou belles de lignes, comme sont les plus humbles maisons d’Italie, sinon d’un style uniforme mais caractéristique, comme sont les granges, les chalets et les châteaux dans les cantons allemands, du moins pittoresquement délabrées, comme sont les masures de la Savoie et du Chablais. Entre la villa proprette et la ferme soigneusement couverte et recrépie à mesure, à peine trouve-t-on quelques bâtiments abandonnés aux envahissements de la mousse, aux embrassements du lierre, aux injures du temps, cet habile faiseur de lézardes, de crevasses, d’éboulis ; ce rhabilleur de ruines, qui les colore de vétusté, qui les orne ou les languette, ici d’une svelte fleur, là de menus herbages ; cet artiste admirable qui empreint toutes les charpentes, toutes les murailles qu’on lui livre, de poétiques outrages, d’expressives vermoulures, de ces mille signes qui parlent à l’âme un mélancolique et savoureux langage de destruction et de renouvellement, de vieillesse écoulée et de reverdissante jeunesse, de vie éteinte et de vie qui surgit et qui recouvre ! Au-dessus de Bex pourtant, la tour de Duing présente tous ces signes ; et un propriétaire intelligent,