Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/155

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ciel frappe, délaie et entraîne incessamment la terre sablonneuse qui forme les deux côtés du ravin ; mais là où elle rencontre un maître roc, elle mine tout autour sans pouvoir rien sur la place qu’il recouvre et protège. De cette façon le roc se trouve bientôt sur une sorte de tige, et l’on dirait un colossal champignon. Avec le cours des années et des eaux, cette tige s’allonge indéfiniment, jusqu’à ce que, devenue colonne, un beau jour elle chancelle, s’incline et croule écrasée sous son propre chapiteau.

Au delà de cette fissure l’on commence à redescendre le long de couloirs rapides et poudreux, qui serpentent entre les troncs rapprochés de hauts sapins. L’ombre ici, c’est une nuit chaude et étouffée, tant les branchages entrelacés, tout en arrêtant jusqu’au jour lui-même, arrêtent aussi l’air et la brise ; au bout d’une heure l’on débouche dans une belle prairie tout à côté du village de Saint-Gervais, et d’un saut l’on se trouve aux bains. Nos cinq camarades y sont arrivés heureusement, et plus heureusement encore, ils ont rencontré à Servoz M. C… et le professeur D…, qui, partis de Genève ce matin, et croyant nous joindre à notre descente du Brévent, se sont acheminés sur le Prieuré. Ainsi donc, sans la circonstance fortuite et excessivement rare d’ailleurs de notre séparation en deux corps, le projet de ces deux messieurs échouait, et nous serions repartis nous-mêmes demain matin sans avoir eu la charmante surprise de leur visite.

La soirée, comme on peut le croire, se ressent de l’événement, et le souper aussi, qui se termine en négus, à l’infinie satisfaction des régalés. Le négus, c’est mieux encore que le bouillon gras, mieux encore que le cidre et le verjus, la boisson sans pareille du piéton, alors surtout que, sa tâche finie et son souper terminé, il ne lui reste plus qu’à prolonger en récréatives causeries ce crépuscule de la veille qui aboutit aux ombres du sommeil.