Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/174

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auprès, et, la voyant si humble et si cachée, par compassion, par retour sur lui-même, en respectera l’empreinte ? Oui, il y a là quelque chose de sérieux et de naturel tout ensemble, et s’il est vrai que beaucoup inscrivent leur nom par imitation, par sottise, un plus grand nombre encore l’inscrivent d’instinct, de mélancolie, si l’on veut, et comme pressés de conjurer d’avance par cette trace qui, toute fugitive qu’elle soit, a néanmoins la chance de leur survivre, l’entière destruction de leur mémoire, de dérober à l’inexorable voracité de la mort ce signe oublié de leur frêle et passagère existence !

Que si toutefois l’on veut absolument voir là une sotte vanité, alors, Alisi Penay, la vôtre est aussi légitime, plus excusable peut-être que ne l’est celle de ces monarques qui font inscrire sur les monuments, sur les arcs de triomphe, sur l’airain et sur le marbre leurs noms et leurs vertus, leurs bienfaits et leurs victoires ! Car n’êtes-vous pas homme aussi, et, s’il est permis à ces fastueux de s’inscrire au fronton de tous les édifices d’un grand royaume, qui pourrait vous blâmer d’avoir, à ce même effet, disposé d’une pierre du chemin ? ou encore, si comme le prétend un vulgaire dicton :

Il n’y a que la canaille
Qui mette son nom sur les murailles,


Sésostris, Aménophis, Adrien, Sévère, d’autres encore depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours, ne vous ont-ils pas donné l’exemple de l’y mettre, et voudrait-on que vous fussiez plus fier ou moins humble que ces conquérants des nations, que ces maîtres du monde ? Mais non, Alisi Penay, il n’y a pas rien que la canaille qui aime à crayonner son chiffre sur les rochers des montagnes, sur la robe de Memnon, au pied des Pyramides, à la voûte des catacombes, il y a encore les simples, les poètes, tous ceux aussi chez lesquels cet universel instinct qui pousse à laisser quelque signe de soi prévaut sur la fashionable réserve qu’impose le dicton.

Et il est si vrai, Alisi Penay, qu’il en va ainsi ; et il est si vrai que c’est bien là une sorte d’universel instinct que l’éducation, que les manières, que les convenances, et surtout cette vanité elle-même avec laquelle on le confond communément, répriment sans jamais le détruire, que ceux-là seuls y donnent essor sur qui ces contraintes sont sans empire, et qui réfléchissent trop peu pour s’élever jusqu’à la vanité d’être modestes : car où donc se voient inscrits aux murailles chiffres et noms propres en foule ?

Dans les écoles, dans les casernes, dans les petites hôtelleries, dans les