Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/205

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colonnades, là reposent en obélisques couchés et en chapiteaux gisants. Et pour le regard lui-même, seul voyageur qui visite ces inabordables merveilles, il lui faut, pour y atteindre, parcourir ces cimes prochaines, raser ces vagues de pierre qui ne portent que des débris de foudre ; il lui faut escalader des arêtes hérissées de dents et de pics, des parois d’une roide nudité, en sorte que la riche désolation des approches annonce, présage, rehausse la sublime splendeur des augustes décombres.

Mais c’est assez nous arrêter sur ce col. Au plus haut point du passage, Jean Payod décharge la mule et nous fait reprendre nos sacs. En vérité, c’est tout plaisir, tant on se sent fort et agile dans ces contrées éthérées, tant aussi l’on aime à soulager le bon animal ; car cette mule, depuis cinq jours, elle fait notre besogne, depuis cinq jours elle marche incessamment chargée le long de sentiers difficiles, et, ce qui est bien plus cruel, au travers d’herbages gras où elle voit paître ses compagnes sans qu’il lui soit permis « d’en tondre la largeur de sa langue… » Ah ! il manque quelque chose aux mules, aux juments, aux bœufs, aux ânes, à tous ces serviteurs de montagne ou de métairie, c’est de pouvoir comprendre ces vraies amitiés qu’ils font naître, ces chaudes reconnaissances qu’ils inspirent !

Du col de Fenêtre jusqu’à la gorge du grand Saint-Bernard, nous ne faisons qu’une course ; tout à l’heure voici le lac, et sur la rive opposée