Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/237

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diront le vrai sans plus, heureux de vous mettre au fait, heureux de vous être en aide. Je vais, moi, vous retenir deux mules et deux guides, et mon homme de confiance vous portera aux Mayens un déjeuner que je veux vous y offrir. Soyez-en sûrs, tout ira bien. » Le moyen que tout n’aille pas bien, quand on est accueilli de la sorte, quand, à l’heure qu’il est, déjà de braves montagnards, avertis et secondés par cette digne dame, nous préparent et la chère et le gîte de demain dans les cabanes d’Evolena, à cent lieues du monde et à deux pas du Ferpècle !

Les choses ainsi réglées, nous voulons mettre à profit notre soirée en visitant les curiosités de Sion. Cette ville, en même temps qu’elle s’embellit de constructions nouvelles, perd insensiblement sa physionomie jadis si caractéristique de petite Jérusalem catholique, où, sur le flanc d’une montagne aride, et tout voisins d’une pierreuse vallée, s’élèvent de saints parvis incessamment encombrés de fidèles. Déjà s’y heurtent et s’y combattent le rajeunissement et la vétusté, le moderne et le suranné, la hâte précipitée du progrès et la tenace inertie des coutumes séculaires. Déjà des cafés, des estaminets, de neuves maisons y coudoient les masures enfumées du pâtre citadin, ou y éclipsent par l’éclat de leur fastueux blanchiment la modeste façade des vieux hôtels percés de galeries, striés d’arabesques, marqués d’écussons. Par l’entremise amicale de madame Muston, nous sommes introduits dans deux de ces vieux hôtels : rien n’est plus curieux, rien plus expressif de la révolution qui s’opère. La construction de celui que nous visitons d’abord remonte à l’année 1505 ; on le reconnaît dès l’escalier, dont l’architecture allie les élégances de l’ogive et le délicat entre-croisement des arceaux effilés à la gothique ornementation d’anges bizarres et de diableteaux contournés qui font saillie dans les angles ou qui nichent dans les recoins. Cet escalier aboutit à la grande salle, qui est peinte, boisée, dorée dans le goût du temps, et où d’antiques bahuts, de hauts buffets richement sculptés recèlent derrière leurs ais délabrés, ici des hardes, là des pampres de maïs ou des débris de victuailles. Enfin, au delà, et dans une chambrette écartée, nous trouvons un vieillard qui dispose quelques provisions qu’un homme attend pour les monter aux Mayens. Ce vieillard, vêtu comme un fermier, mais de qui le langage noblement affable et les manières empreintes de dignité trahissent la condition, c’est le seigneur de cette demeure, et le rejeton de l’une des plus illustres familles du Valais. La révolution, le bruit, le siècle assiègent son manoir, mais ils n’y ont pas pénétré ; et pendant que, tout près, dans la rue voisine, le radicalisme tient ses états sur le seuil