Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vif mais plus savouré, et qui s’embellit de l’idée qu’on va n’avoir plus qu’à se prélasser sur un chariot, au lieu de monter à son faîte par le souvenir des fatigues que l’on vient d’endurer. Variété charmante, et n’est-on pas heureux, lecteur, quand, sans plus de frais, et rien qu’en vertu de quelque diversité d’allure, d’une façon l’on déjeune admirablement, et de l’autre façon admirablement encore !

À peine nous sommes-nous remis en route que c’est dans les deux chars un sommeil général ; les têtes se choquent, les épaules se heurtent ; aucuns s’affaissent qui servent aux autres d’oreiller débonnaire ou de paillasse bien commode ; et si, à cette heure, nos chevaux prenaient fantaisie d’aller paître dans la prairie voisine, qui que ce soit n’y ferait obstacle. Mais bien heureusement, où le cocher dort, les chevaux continuent d’obéir au timon, pour ne s’arrêter que devant l’écurie, et c’est ce qui fait que l’on ne rencontre pas plus souvent sur les grands chemins des parties de plaisir noyées dans l’eau du fossé, ou des Absalons pendus aux arbres de la forêt. À notre réveil, il se trouve que le ciel, ce matin si radieux, a tourné au sinistre ; et la pluie commence à tomber au moment où nous arrivons à Viége.

Viége, en allemand Wisp, est un petit amas de maisons lézardées, qui masque l’étroite entrée de cette vallée de Zermatt, que nous nous proposons de visiter. On y trouve une boutique où les cochers se pourvoient en passant de mauvais tabac, et l’auberge du Schwal blanc, où les touristes ne s’arrêtent jamais. Nous nous y arrêtons cependant, car, las un peu de nous engager dans des gorges sauvages pour y affronter l’intempérie qui rince, et la brume qui voile, nous ne savons trop quel parti prendre. Toutefois, comme, dans une tournée surtout, l’incertitude est mère de l’ennui et de la démoralisation, M. Töpffer ne tarde pas à convoquer ses compagnons en Landsgemeine, et là il est arrêté à la majorité des suffrages qu’il ne faut ni s’aventurer à cette heure dans la gorge sauvage, ni poursuivre du côté de Brigg, mais qu’il faut demeurer cette après-midi à Viége, y coucher même, afin d’être prêts à partir pour Zermatt si le temps, après s’être amélioré dans la soirée, venait à présager pour le lendemain une radieuse aurore. Ce parti une fois pris, l’on colonise. Coloniser, c’est voir les hôtes, apprécier les ressources, assurer le repas, la couchée ; c’est surtout, au sortir de l’incertitude, se moraliser par la résolution et l’activité, et, après avoir fatigué ses membres, donner au repos des instants que l’entretien, les jeux, l’agréable loisir de dessiner, d’écrire ou de lire, font trouver trop courts. Coloniser, quand on est nom-