Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/292

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d’excellent ton, et qui sait, tout en se faisant notre serviteur, se maintenir notre égal. Mis au fait de nos projets, il nous donne des renseignements utiles, et s’en va nous chercher des cartes admirablement détaillées des vallées environnantes et de la chaîne du mont Rose. Lui-même, ingénieur apparemment, a travaillé et travaille encore à la confection de ces cartes, ce qui n’empêche pas qu’il s’aide aussi à la confection de notre repas. Pendant qu’il est à son œuvre, nous vaquons à la nôtre. Quelques sédentaires occupent la salle, et comme tout à l’heure la pluie a cessé de tomber, des amateurs s’en vont faire sur la grande place une partie de quilles, tandis que d’autres, s’attelant au chariot de Rayat, se sont constitués chevaux de poste au profit de leurs camarades, et galopent à l’envi du côté de Brygg et retour. Pour Shall, avant de participer à ces courses olympiques, il s’est acheminé vers la boutique pour s’y acheter du caramel. « Je voulé, dit-il à l’homme, diu calomel. » Heureusement l’une des substances est aussi inconnue que l’autre dans l’endroit, en sorte que Shall se borne à empletter pour le compte de M. Töpffer, et d’ordre précis, quatre crayons détestables, tels, en un mot, qu’on peut se flatter d’en trouver à Viége.

Voici pourquoi. À la façon de certains qui sont sujets à s’en prendre à leurs outils de ce qu’ils font de la mauvaise besogne, M. Töpffer se trouve pour l’heure radicalement brouillé avec ses brookmans, ses dickinsons, ses newmans et toute la plombagine anglaise. Il leur reproche de s’émousser au grand air, de foisonner au soleil, et de faire des pâtés là où il voudrait de légers frottis. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, pour croquer rapidement et avec quelque finesse d’après nature, surtout des montagnes, c’est-à-dire des objets éloignés où il s’agit d’indiquer et de teinter beaucoup de détails, sans que ces détails paraissent rapprochés, ces pâtes anglaises, molles déjà de leur nature, et que la chaleur, le vent, l’humidité, qui agissent dans le même sens sur le grain du papier, amollissent encore, ne valent pas ces pâtes beaucoup plus communes, mais sèches, sobres, rudes, qui tiennent la pointe et qui donnent des hachures à la fois déliées et grisâtres. Au moyen de ces pâtes-là, sur un trait d’ailleurs vivement accusé de rocs, de sapins, de pâturages, on passe hardiment des teintes qui sont réellement d’autant meilleures et plus fuyantes que la mine est fine de dureté et terne de pâleur. C’est bien pourquoi M. Töpffer a dit à l’Anglais Shall : « À bas Brookman ! et procurez-moi des dickinsons de Viége. »

Croquer, ce n’est pas étudier ; c’est reproduire de sentiment, autant que